La liberté de réunion face à la répression policière : un équilibre fragile

Entre droit fondamental et maintien de l’ordre, la liberté de réunion se trouve au cœur d’un débat sociétal brûlant. Face à la multiplication des mouvements de contestation, l’usage de la force par les forces de l’ordre soulève de nombreuses questions sur les limites de ce droit constitutionnel.

Les fondements juridiques de la liberté de réunion

La liberté de réunion est un droit fondamental reconnu par de nombreux textes nationaux et internationaux. En France, elle trouve son fondement dans l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui proclame la libre communication des pensées et des opinions. Cette liberté est réaffirmée par la Constitution de 1958 et fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

Au niveau international, la Convention européenne des droits de l’homme garantit ce droit dans son article 11, tout comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans son article 21. Ces textes soulignent l’importance de la liberté de réunion pacifique comme pilier d’une société démocratique.

Toutefois, ce droit n’est pas absolu. La loi prévoit des restrictions possibles pour des motifs d’ordre public, de sécurité nationale ou de protection des droits et libertés d’autrui. Ces limitations doivent être proportionnées et nécessaires dans une société démocratique.

L’encadrement légal de l’usage de la force par la police

L’usage de la force par les forces de l’ordre est strictement encadré par la loi. Le Code de la sécurité intérieure et le Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie posent les principes fondamentaux : nécessité, proportionnalité et gradation dans l’emploi de la force.

La loi du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique a renforcé le contrôle de l’action policière. Elle impose notamment l’utilisation de caméras-piétons lors des opérations de maintien de l’ordre.

Le schéma national du maintien de l’ordre, actualisé en décembre 2021, vise à améliorer la doctrine d’emploi des forces de l’ordre lors des manifestations. Il préconise une approche graduée et insiste sur la communication avec les organisateurs de rassemblements.

Les tensions entre liberté de réunion et maintien de l’ordre

Les récents mouvements sociaux, tels que les Gilets jaunes ou les manifestations contre la réforme des retraites, ont mis en lumière les difficultés à concilier liberté de réunion et maintien de l’ordre. L’usage de certaines armes comme les lanceurs de balles de défense (LBD) ou les grenades de désencerclement a été vivement critiqué.

Le Défenseur des droits a pointé à plusieurs reprises des usages disproportionnés de la force lors de manifestations. Dans son rapport de 2018 sur le maintien de l’ordre, il recommandait une révision des stratégies policières pour mieux garantir l’exercice de la liberté de manifester.

La technique de l’encerclement (ou « nasse ») a été particulièrement controversée. Le Conseil d’État, dans une décision du 10 juin 2021, a encadré strictement son utilisation, la jugeant attentatoire à la liberté de manifester si elle n’est pas justifiée par des circonstances particulières.

Le rôle du juge dans l’équilibre entre liberté et sécurité

Face aux tensions entre liberté de réunion et maintien de l’ordre, le juge joue un rôle crucial d’arbitre. Le juge administratif, en particulier, est souvent saisi en urgence pour statuer sur la légalité des mesures prises par l’administration pour encadrer les manifestations.

La jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel a permis de préciser les contours de la liberté de réunion et les conditions de son exercice. Ainsi, dans sa décision du 4 avril 2019, le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi « anti-casseurs », jugeant que certaines dispositions portaient une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester.

Le juge judiciaire intervient quant à lui pour sanctionner les éventuels abus commis lors des opérations de maintien de l’ordre. Plusieurs affaires médiatisées ont conduit à des condamnations de policiers pour usage disproportionné de la force.

Les perspectives d’évolution du cadre juridique

Face aux critiques récurrentes sur la gestion des manifestations, plusieurs pistes d’évolution du cadre juridique sont envisagées. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a formulé des recommandations pour une meilleure protection de la liberté de manifester.

Parmi les propositions avancées figurent la création d’une autorité indépendante de contrôle des forces de l’ordre, la révision des protocoles d’utilisation de certaines armes, ou encore le renforcement de la formation des policiers aux techniques de désescalade.

Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) continue de développer sa jurisprudence sur la liberté de réunion, influençant ainsi les pratiques nationales. Ses arrêts récents tendent à renforcer les obligations positives des États pour garantir l’exercice effectif de ce droit.

L’équilibre entre liberté de réunion et usage de la force par la police reste un défi majeur pour nos démocraties. Si le cadre juridique actuel offre des garanties importantes, son application concrète soulève encore de nombreuses questions. L’évolution des pratiques policières et du contrôle juridictionnel sera déterminante pour préserver cet espace de liberté essentiel à la vitalité démocratique.